west coast jazz
Ayant pour habitude d’évoquer notre west basc coast, notre côte basque à nous, je vais cette fois-ci, déplacer l’espace de mon billet vers l’ouest des Etats unis, la côte californienne…C’est à cet endroit , sur le bord des plages, durant les superbes années 50, que s’est développé un style de jazz, auquel je goûte sans réserve. J’ai voulu choisir ce thème de début d’année pour vous parler de beaucoup de musiciens que j’aime particulièrement. J’ai consacré quelques billets à certains d’entre eux. Mais, c’est en fait la manière avec laquelle cette musique est jouée qui mérite quelques mots d’explications. Encore une fois, une question de goût….
Tout d’abord, rien n’est simple dans les classifications, et la west coast music, n’est pas que celle de la seule Californie, celle d’un majorité de blancs, ou celle aussi que l’on appelée le jazz cool…Toutes ces acceptions, on les retrouve dans des proportions variables dans la west coast, mais les tiroirs débordent, et je ne voudrais pas surtout les fermer.
Alors, en simplifiant, et pardon par avance aux spécialistes de la chose, que s’est -il passé là bas au début des années 50 ? . Il semble que beaucoup de musiciens aient été attirés par la côte californienne, où se passaient beaucoup de choses. Les villes de Los Angeles, de San Francisco et d’Hollywood avaient attiré un grand nombre d’artistes, de gens de cinéma notamment. Les musiciens bons lecteurs y étaient fort appréciés pour les bandes-son. La vie y était agréable (je pense que c’est toujours le cas). C’était le temps des chemises hawaiennes, de la coupe de cheveux en brosse (n’est-ce pas Gerry Mulligan ?…), des belles bagnoles …j’allais ajouter: des cigarettes et p’tites pépées…..Le jazz connaissait un bel essor à l’entrée des années 50. Les musiciens be bop de la côte Est avaient, depuis le début des années 40, enrichi notablement le langage harmonique et rythmique du jazz , et le style mainstream (“le grand courant”) se développait en toute quiètude, la plupart de ses chefs de file ayant atteint une pleine maturité. La technique d’enregistrement, avec l’arrivée dans les studios de la longue durée et de la stéreo, allait considérablement se bonifier. Disons -le. C’était l’âge d’or!….
Au moment où prenait naissance sur la côte opposée, et notamment à New York, le hard bop révélé notamment par la firme blue note (la dernière livraison de “jazzmagjazzman” vient d’y consacrer des pages fort intéressantes) , on assistait à une importante migration de musiciens de l’autre côté du pays, sur les bords de Hermosa beach sur la côte Pacifique. A cet endroit, un bassiste pas très connu, Howard Rumsey, a eu l’idée géniale d’emménager un lieu devenu mythique , le Lighthouse, et y a invité à venir se produire tous les dimanches de 12 heures à 2 heures du matin , tous les musicos du coin. Ont donc débarqué ceux qui venaient de quitter l’orchestre de Stan Kenton, et puis ceux qui se baladaient dans les parages non loin des studio de cinéma d’Hollywood. Très souvent du très beau monde…
On doit au trompettiste Shorty Rogers et au saxophoniste baryton Gerry Mulligan d’avoir formé dès 1951 des formations devenues très vite de véritables pépinières de grands talents…Essayons d’ énumérer, en craignant toujours d’en oublier d’importants, tous ces musiciens, souvent arrangeurs , qui enregistrèrent avec bonheur au cours de cette décennie : les guitaristes Barney Kessel et Jimmy Raney, les altistes Jimmy Giuffre, Lee Konitz, Sonny Criss , Lennie Niehauss, Herb Geller et Art Pepper, les trompettistes Conte Condoli et Tony Fruschella , les saxophonistes tenor Teddy Edwards, Wardell Gray, Richie Kamuca, Bill Perkins, Bill Holman, Jack Montrose, Bob Cooper, et les trombonistes Frank Rosolino, Carl Fontana et Bob Brookmeyer. Il faut dire que les rythmiques étaient dotées de musiciens très sûrs, habiles à installer et soutenir les meilleurs tempos (les pianistes Lou Levy, Hampton Hawes, Russ Freeman et Pete Jolly, les bassistes Curtis Counce et Leroy Vinnegar, les batteurs Chico Hamilton et Shelly Manne) . Je consacrerai plus tard un billet aux vocalistes.
Mais, allez-vous me dire, qu’est ce qu’il pouvait bien y avoir de particulier avec cette musique de la west coast ?. Eh bien, je ne sais si c’est l’air du Pacifique, une manière de vivre assez décontractée, peut- être certains produits utilisés (?), mais la musique y a été féconde et jouée avec relax, avec des rythmiques aussi dynamiques que celle de la swing era. . Loin des tumultes parfois créés par les boppers, loin du jazz pur et dur des harboppers, dans un pays qui avait déjà accueilli les dixielanders , place semblait faite au liant, aux phrasés souples et aérés, avec, sans improvisations trop longues , ce souci du bon ordre et de l’arrangement. Le tout coloré de sonorités feutrées, bien mises en valeur par des arrangeurs de métier. Un besoin évident de tous les instants : ne pas brutaliser la musique en y suggérant une part de rêve. Et c’est peut- être ce qui me plaît le plus. J’aime, à cette époque (1952-58) les phrasés assez simples, mais fort bien découpés de Lee Konitz et de Art Pepper, lesquels comme Stan Getz, ont joué à cette époque dans un style préférable à celui utilisé plus tard avec davantage de dureté. Comment pourrais-je passer sous silence l’élégance fragile de l’altiste Paul Desmond dans le quartet du pianiste inventif Dave Brubeck ?.
Certains musiciens de cette décade peuvent à eux seuls faire l’objet d’une étude approndie. Chet Baker, très actif et prometteur dans les sessions californiennes. Mais aussi Miles Davis , celui que l’on a présenté comme une étoile du jazz cool avec ce son et ce phrasé qui le démarquent de ceux qu’il a tant admirés, (Clark Terry, Dizzy Gillespie ou Clifford Brown) .
La rencontre ces années là de Miles avec l’arrangeur Gil Evans doit être abordée dans notre étude, du fait de l’originalité de la musique ainsi créée, plutôt d’inspîration européenne, avec l’usage d’instruments inusités dans le jazz comme le tuba ou le cor. L’enregistrement de “birth of the cool” a connu un succès relatif. Pour ma part, je ne ne goûte pas trop à cette musique, selon moi, assez lugubre, et dépourvue totalement de swing , malgré le nombre de talents figurant au casting.
L’influence des brothers, issus des herd (troupeaux) de l’orchestre de Woody Herman, est, elle, plus marquante dans la musique de la west coast. Il convient ici de citer l’apport majuscule de Herbie Stewart de Zoot Sims et surtout de Stan Getz, dont je vous ai déjà parlé dans des billets précédents..Stan avait un peu ouvert la voie dans un très beau solo chez Herman (“Early autumn” 1948) . Là, nous touchons à l’essentiel, à l’âme du maître, le grand saxophoniste tenor Lester Young, celui qui a vraiment créé cette manière de jouer complètement relax, sans vibrato, en dehors du temps dans toutes les acceptions du terme. Mais en fait en place et en bonne place!…Surtout avec ce swing lèger, aussi efficace que celui des suiveurs de Coleman Hawkins. La voilà la grande influence!….. Tous nos amis de la côte, ou du moins la plupart, viennent de Lester!….Il suffit de le leur demander et, surtout…de les écouter!…. Lester omniprésent. André Hodeir, compositeur français qui vient de disparaître, a pu écrire à ce sujet “on a cru longtemps que Young avait renouvelé le style du ténor. C’est une nouvelle conception du jazz qu’il a fait naître”. (cité par Alain Tercinet dans son très documenté et passionnant ouvrage: “west coast jazz” (1986 .Editions Parenthèses).
Donc, c’est grâce à Lester que beaucoup de musiciens ont joué et jouent relax. C’est au cours de cette période heureuse , que j’ai tenté tant bien que mal de délimiter avec des barrières souples, que beaucoup ont épanoui leur art. Ca jouait vraiment décontracté et fort bien. Et, pourtant aux Etats unis, l’american way of life, ce n’était pas que du bonheur. Le sénateur Mac Carthy pourchassait ses sorcières, et les citoyens noirs étaient encore fort maltraités. C’était avant leur révolte, et les discours de Martin Luther King. Une dure réalité. Et pourtant, en Californie, sur cette belle west coast, le jazz, musique toujours indépendante et pleine de ressources , prenait, loin des tracas, ses vacances d’été.
Bonne année à tous.