Le semeur
Guy Lafitte et Pierre Boussaguet!. Tous les deux nous sont très chers. Nous les avons tant côtoyés, écoutés, admirés!…Guy Lafitte nous a quittés en 1998. Auparavant, nous avions partagé tant de bons moments avec lui. Il était pour nous , le gersois, mousquetaire du swing, avec un son de saxophone magnifique, puissant, timbré, à tout moment mélodieux. Son mentor Coleman Hawkins l’avait tellement façonné que Guy chantait sans arrêt ses louanges. Il jouait “Bean” (surnom de Hawkins), en jouait, et n’a pratiquement pas changé son style pendant toute sa carrière. Nous avions accueilli Guy Lafitte à Bayonne, à Biarritz, à Hinx des dizaines de fois. Pourtant, c’est à Saint Paul lés Dax qu’a eu lieu LA RENCONTRE!….
Durant l’été 1984, nous vivions une douce soirée sur les bords du lac de Christus. Le trio Jazzland –Didier Datcharry (piano), Jean Paul Gilles (contrebasse) et Jean Duverdier (batterie)- avait accompagné ce soir là Guy Lafitte. Dans la salle, Pierre Boussaguet, le gars d’Albi, ne perdait pas une miette du concert et brûlait de partager quelques notes avec le gersois. Grâce à Jean Paul Gilles (notre Jipi!) qui a laissé sa contrebasse à Pierre pour quelques morceaux, nous avons assisté aux débuts d’une longue aventure entre Pierre et Guy son aîné, certes séparés par la différence d’âge, mais réunis par une passion commune, façonnée dans ce bon sud ouest où les gascons aiment se rencontrer et festoyer ensemble.
Pierre Boussaguet , en quête de nouvelles aventures, n’a jamais oublié Guy. Dans son dernier enregistrement (“le semeur”. Jazz aux remparts 64023), il a voulu refaire vivre l’esprit de son ami Guy. Pourquoi ce titre ? .La réponse nous est donnée par Pierre dans le copieux et passionnant booklet accompagnant le disque. Guy avait en effet expliqué à Pierre au cours de longues nuits blanches à refaire le monde, que Coleman Hawkins, dans son magnifique “Body and soul” de 1939, avait pour bien tenir son tempo, effectué le geste naturel du semeur qui doit déposer les grains dans les sillons avec une grand savoir-faire. J’aime cette image du semeur. Car Guy a semé, pas toujours récolté, mais sa transmission est magnifique et éternelle.
Les deux hommes ne se sont plus quittés revenant même à Borredon dans la gare désaffectée pour un concert très émouvant en duo.(“crossings” 1997). Leur dernière rencontre sur cette terre.
Le disque “le semeur” nous fait découvrir un Pierre Boussaguet arrangeur. Lui, que l’on pourrait surnommer “le pulseur”, a appris, en accompagnant les meilleurs (Joe Pass, Michel Legrand, Jacky Terrasson, Ray Bryant ou Diane Krall) le sens de l’écriture. Il arrange fort bien. Son album est magnifique. Je retrouve un peu une certaine parenté avec les arrangements west coast de Dave Pell ou de Bob Cooper. Mais la rencontre récente avec Lalo Schifrin a donné au talent de Pierre une dimension encore plus internationale. Dans ce cd, on voyage beaucoup et nous découvrons les rythmes de Cuba, une place étant aussi offerte au tango (“souvenir imaginé”). On sait à présent qu’il existe tout près de chez nous d’excellents saxophonistes et flûtistes et dans cet enregistrement, ils brillent de tous leurs chromes..Stéphane Guillaume, Luigi Grasso, Nicolas Dary sont à découvrir. Je n’oublie pas le pianiste Vincent Bourgeyx et le batteur François Laizeau. On connaît davantage André Villèger, l’ancien qui a bien connu Guy Lafitte. Il est de tous les coups au saxophone ténor. Et on peut même l ‘écouter à la clarinette dans “la fête au village”, plage très réussie, dans laquelle on croit entendre ,durant un court instant, un orgue de barbarie!. Très enthousiasmant également “le chat et le pivert” enregistré en public à Bayonne.
Tout le monde a pensé à Guy. Le semeur n’a pas semé en vain.
Merci à Dominique Burucoa et à toute l’équipe de la Scène nationale de Bayonne et du Sud Aquitain(“jazz aux remparts”) qui nous permettent d’écouter régulièrement les meilleurs musiciens de l’hexagone.
Mes billets sur Guy Lafitte
et sur Pierre Boussaguet