Clifford Brown
Dans le monde des arts, on a eu juste le temps de voir passer des “étoiles filantes”, des stars disparues très jeunes, souvent des génies. On peut évoquer James Dean, Gérard Philippe ou Jimmy Hendrix.
Chez les jazzmen, l’hécatombe a été encore plus marquante…..Beaucoup de jeunes musiciens, pétris de talent, ont ainsi disparu à peine la vingtaine d’années passée…Quelques disques enregistrés, quelques concerts donnés….On cite généralement les contrebassistes Jimmy Blanton et Scott Lafaro, le cornettiste Bix Beiderbecke, le guitariste Charlie Christian, le trompettiste Fats Navarro, le bassiste Jaco Pastorius…et Clifford Brown, ce jeune trompettiste au talent éclatant , né en 1930 à Wilmington (Delaware) et disparu dans l’Indiana dans un accident de la route …à l’âge de 26 ans…Il était parti s’acheter une nouvelle trompette!…La buick a dérapé sur une route détrempée. Le pianiste Richie Powel et son épouse étaient dans la même voiture folle. Il sont tous les trois morts ce terrible 26 juin 1956…
Voyons rapidement la biographie de Clifford Brown….à la vitesse de sa vie…. A quinze ans, “Brownie” se perfectionne déjà à la trompette et la rencontre quelques années plus tard avec Miles Davis et Fats Navarro va être déterminante. Par la suite, le jeune Clifford, n’ayant peur de rien et avec un joli bagage, sera de tous les coups. Il va côtoyer Jimmy Heath et Tadd Dameron, mais aussi Art Blakey et la chanteuse Dinah Washington. Il va être recruté dans le big band de Dizzy Gillespie, mais aussi celui de Lionel Hampton, véritable découvreur de talents. Avec cet orchestre, il fera une tournée européenne, et aura l’occasion d’enregistrer en France pour la firme Vogue des plages superbes avec le trompettiste et compositeur Quincy Jones et l’altiste Gigi Gryce. Notre ami André Dabonneville avait eu l’occasion de participer à ces séances ( les musiciens s’étaient réunis en cachette , sans l’accord d’Hampton qui les avait virés au retour à New York!….) , et nous avons pu recueillir son témoignage sur la rencontre avec Clifford de 1953 (séances Jazz Legacy).
Fort heureusement, dans sa courte vie, Clifford a abondamment enregistré et souvent dans d’excellentes conditions. Il nous reste donc de magnifiques plages, dont les sessions de 1954 à 1956 avec le batteur Max Roach (coffret Emarcy ), et les chanteuses Helen Merill et Sarah Vaughan. On découvrira aussi le “study in Brown“(1955). En video presque rien, si ce n’est un film que des amis nous ont fait partager récemment sur un site convivial, mais qui n’est pas de bonne qualité technique.
Clifford Brown occupe une excellente place dans le cœur et les discothèques des amateurs de jazz, et beaucoup de trompettistes demeurent des inconditionnels de ce jeune prodige, que l’on peut citer avec constance en exemple. Chez lui, pratiquement pas de fautes techniques ou de goût, un sonorité puissante et claire, un phrasé sans faille, très mobile, au détaché percuté, une inspiration jamais prise à défaut, avec un gros feeling sur les ballades (il faut écouter absolument son enregistrement avec les cordes en 1955 (Emarcy)…Une référence pour beaucoup. On a parlé dans ses modèles du déjà cité Fats Navarro (Philippe Milanta pourrait nous endire beaucoup plus à ce sujet!) , mais les suiveurs sont légion!…Freddy Hubbard, Donald Byrd, Lee Morgan et …Wynton Marsalis ce dernier rappelant beaucoup Clifford par son phrasé incisif et hautement technique!.
Chez les français, on peut citer François Chassagnite (photo ci contre) qui vient de nous quitter à l’âge de 56 ans.
Clifford Brown, quelle époque du jazz, quel style ? Essayons de donner un réponse…Le bebop avait déjà une dizaine d’années d’existence. Le jazz cool avait fait le bonheur des musicos de la West coast. Comme on l’a souvent dit, en réaction à cette douce évolution du jazz, peut être trop sophistiquée, certains, plutôt du côté de New York, à l’image d’Art Blakey, sont revenus à un jazz au tempo appuyé, interprété de façon bluesy. On a parlé de hard bop. En tous les cas, durant ces années 50, les grands jazzmen arrivaient à maturité, et le jazz connaissait, grâce aux progrès de l’enregistrement, une période faste. Un écrin pour Clifford!…
Clifford Brown a composé des morceaux célèbres et souvent joués en son honneur (“joy spring”, “Daahoud”)…Un magnifique thème (un des plus beaux du répertoire de jazz), a été écrit par Benny Golson pour lui rendre hommage: “I remember Clifford”.
Personne ne peut oublier Clifford Brown!….
A lire: “le roman d’un enfant sage” d’Alain Gerber (Fayard).
Les caprices du destin…
Je tiens cette anecdote d’une émission sur Henri Renaud qui avait été diffusée sur la radio TSF Jazz peu de temps avant la disparition d’Henri Renaud.
Celui-ci raconte qu’il était à New-York chez son ami pianiste Al Haig quand ce dernier reçut un coup de téléphone de Max Roach qui voulait l’engager pour constituer le quintet avec Clifford Brown.
La réponse de Al Haig fut négative, il n’avait pas envie de partir faire des tournées de concerts, il aspirait à rester chez lui et préférait jouer en club à New-York.
Ce fut donc Richie Powel qui fut contacté et accepta l’engagement.
Ce que n’a pas souligné Henri Renaud, c’est que c’était le premier événement d’une série qui allait aboutir au décès accidentel de Clifford !
En effet, la nuit où l’accident fatal eût lieu, venant de faire un concert,Richie Powel et Clifford étaient fatigués et c’est donc naturellement que la femme de Richie a prit le volant.
Évidemment, on ne peut pas savoir ce qui se serait passé si Al Haig avait accepté l’engagement de Max Roach… mais le destin de Clifford en aurait peut-être été changé !