Raisins aigres et figues moisies
La querelle des anciens et des modernes, la bataille du jazz, les questions “jazz, pas jazz”, “swing pas swing”…., On pensait en finir…Eh bien non!…On y reste encore…Mais les années passant, les différents styles étant mieux absorbés, le raisonnement n’est peut- être plus le même en 2010, que dans la période des années 40, 50 et 60, où les querelles faisaient rage….Un récent échange de mails à propos de la programmation du festival de Biarritz…me donne l’occasion d’évoquer ici cette guéguerre dépassée et stupide….
Oui, dans les années 40 et 50, après l’avènement du be bop, on s’est pas mal chamaillés….Il est vrai que les boppers, sans révolutionner à mon sens le monde du jazz, étaient venus déranger le bel ordre établi….Au point de vue rythmique, avec également des trouvailles harmoniques qui allaient être largement utilisées par la suite, y compris par les musiciens du mainstream (le grand courant). Alors, des gens comme Hugues Panassié ont rompu avec Charles Delaunay au sein du hot club de France, et nous avons vu se développer à cette époque, la bataille des “raisins aigres” (les tenants du nouveau jazz ) d’une part, contre les gardiens du temple, les “figues moisies”. Ce débat reste historique. Il faut relire ce sujet une abondante littérature, avec, à titre d’exemple, les lignes sulfureuses de gens comme Boris Vian, et dans l’autre camp, les dogmes affichés, avec pour les “traitres, les excommunications !…
Avec la connaissance que nous avons tous à présent du jazz (à part les irréductibles de Montauban qui sévissent encore ça et là….), cette querelle des anciens et des modernes paraît dérisoire….En fait, restent encore les amateurs exclusifs du jazz Classique dit swing, qui a permis aux grands orchestres américains de faire vivre au jazz dans les années 20, 20 et 40, une période faste, avec l’émergence d’immenses musiciens (Louis Armstrong, Duke Ellington, Art Tatum, Count Basie, Coleman Hawkins, Lionel Hampton, etc…) et le confort d’une musique de danse, splendide au demeurant, et qui le reste….
Et puis, comme dans tout art, et dans tout phénomène de société , il y a ceux qui ont choisi la découverte, la modernité, les ruptures avec le train train…Il y a eu le bop, mais aussi le cool, le hard bop, alors que les orchestres de blues, puis de Rhytm and blues, de soul (Areta Franklin, Ray Charles..) passionnaient le grand public…Toute cette évolution, cette longue histoire d’une musique pourtant jeune (née au début du XXème siècle), serait trop longue à évoquer ici. Et puis, je ne me sens absolument pas grand spécialiste du sujet. Je veux ici parler de ce que je ressens en 2010, en tant qu’amateur et musicien.
Nourri (je dois le reconnaître) par le jazz classique, j’ai pu apprécier au fil du temps , le jazz avec tous les progrès qui le rendaient toujours plus aventureux et passionnant. Contrairement aux grincheux qui n’ont jamais été mes maître- penseurs, j’ai su considérer comme des grands, des musiciens comme Stan Getz, Gerry Mulligan, Art Pepper, Charlie Parker, Miles Davis (années 50), et tant d’autres. J’ai assez bien, digéré certaines aventures exotiques, comme l’intrusion de la bossa, certains rythmes cubains (chez Dizzy Gillespie notamment), l’école passionnante de la West coast, les plages de “Blue Note”, avec beaucoup de musiciens hard boppers (je vous ai déjà parlé de Dexter Gordon, Hank Mobley ou Paul Desmond)…
J’avoue en revanche, avoir été très réticent et finalement assez dérouté par le jazz rock (Miles, nouvelle formule), les révoltes des uns et des autres, dans les années 60, et la volonté affichée par certains de briser tout ce qui rattachait le jazz à quelques notions élémentaires pour que la mayonnaise prenne (le beat, le tempo, le swing (tout un programme)). Des attitudes de musiciens comme le pianiste Cecil Taylor, ou Charles Mingus ne m’ont donné aucune envie de m’y intéresser… J’ai eu beaucoup de mal à, ne serait-ce qu’écouter, ce qu’on a appelé le free jazz, terme qui me gêne beaucoup, car le jazz était libre depuis longtemps, et le reste à jamais…
Et puis, toutes ces révoltes, heureusement se sont estompées. Beaucoup de musiciens sont revenus dans le monde entier aux canons solides du jazz…C’est vrai que tout évolue très vite…et que la fusion avec tous les pays rend le jazz très voyageur. C’est heureux. Mais où en sont nos querelles d’antan ? On remarque autour de nous, que les pourfendeurs des “classiques”, n’ont jamais fait que se positionner sur un jazz qui avait 15 ans de plus que celui défendu bec et ongles par les “conservateurs”. Ces “modernes” jouent du hard bop, parfois du jazz rock (sans grande réussite), alors que cette musique a déjà un demi siècle!….Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas eu de grandes innovations musicales depuis, et que ne sont pas nés (à part les grands interprètes (Wynton Marsalis, Michel Camillo, Diane Krall, Michel Petrucciani etc… ) de véritables icônes dans le monde du jazz depuis cette période (années 50) qui avait déjà permis au jazz de devenir adulte.
Nous sommes davantage confrontés au “jazzy” qu’au jazz. La publicité s’empare du jazz qui a toujours eu un effet de mode…(Avez-vous vu la pub de l’ipad Apple avec, comme musique, “when you’re smiling” chanté par Louis Armstrong ? Superbe et rassurant…). Il faut accepter ce mélange de genres et cohabiter….Nous devons nous dire qu’il y a de la place pour tout le monde….et surtout pas , par les temps qui courent , pour les exclusions…
Surtout, n’oublions pas une chose..Il faut que chacun puisse avoir la liberté d’écouter ce qu’il veut, d’aller ou de ne pas aller aux concerts qui lui plaisent ou pas…sans que l’on lui mette une étiquette dans le dos….Pour les musiciens, libres à eux de jouer la musique qu’ils aiment, avec les hommes et femmes qu’ils apprécient, et dans le style dans lequel ils se sentent bien. J’aime à constater que le musicien amateur, comme je l’espère, beaucoup de professionnels, n’a pas de cahier des charges à respecter…S’il est niou toute sa vie, où est le problème ?…Notre musique de jazz est si fragile…..Mais si belle!…. N’allons pas l’encombrer de discussions et de divisions stériles…Qu’en pensez-vous ?
Au fait, vive le jazz!…
Il y a maintes routes pour venir au jazz. Et tout autant pour rejoindre le clan des iconoclastes. Personnellement, j’ai rallié les deux le même jour, a ma premiere tentative d’exécuter (?) Petite Fleur d’une clarinette balbutiante, soldée par une douleur persistante au niveau du coccyx et l’empreinte de la semelle d’un pretendu pedagogue durablement imprimée dans mon amour propre.
Sans entourage adapté, mon acharnement à assimiler cette musique barbare dut longtemps se contenter de France Musique. La quantité disponible ne permetait pas le luxe du sectarisme.
La suite de l’histoire, Pierre et Jipi, vous la connaissez, elle est faite de belles rencontres.
On peut croire que le manque initial laisse l’appetit ouvert.
Alors, comme Jipi le dit, jouons maintenant !
L’important, c’est que tu aies remonté le courant pour aller voir autre chose…C’est quand même plus agréable d’être un grand musicien virtuose…peut- être avec l’esprit amateur (celui aui aime et qui ne se prend pas au sérieux). En tous les cas, on te retrouve partout, et c’est heureux!…
C’est rigolo. Jipi nous a ajouté la “flambée montalbanaise”, un morceau fort célèbre du musette (et très dur à jouer!). Or, notre ami Pierre Vigancq a utilisé ce titre pour parler en fait (en initié et avec beaucoup d’humour…)des querelles du passé qui venaient de Montauban…domicile de Hugues Panassié…C’est vrai que c’était une belle flambée montabalnaise…Chez les férus de jazz, Montauban représente le bastion des intégristes du jazz!…Jipi, tu es un féru du jazz, mais toutes ces histoires, elles te sont passées au dessus de la tête…et c’est tant mieux pour toi. Merci de nous faire écouter un peu d’accordéon…J’y reviendrai un de ces quatre dans mes billets…
C’est sûr que ces querelles montalbanaises et toutes celles initiées par Panassié et consorts me passent largement à côté car j’ai suivi l’histoire du jazz à l’envers.
Quand j’étais petit, j’ai commencé par jouer du rock et du blues (pas celui des noirs, les inventeurs, mais celui venu d’Angleterre avec Eric Clapton et John Mayall) puis je suis passé directement à la revendication du “free” jazz dans les années 70 avec Archie Shepp, Alan Silva fondateur de l’IACP, Anthony Braxton ou l’Art Ensemble of Chicago.
Je suis sans doute ce que vous appelez un iconoclaste et je le revendique, mais ce qui compte avant tout pour moi, c’est le plaisir de faire la musique, de communiquer avec d’autres musiciens sans s’arrêter à un style et encore moins à une époque dans l’histoire de celle-ci.
Ma théorie est, que l’on soit un petit musicien amateur ou un grand virtuose, le plaisir personnel est le même, ce qui change c’est seulement la quantité de public auquel on s’adresse.
Eh bien, Jouez maintenant !
L’émotion aussi de te lire Cher Pierre….Viens souvent nous voir……
Et oui, on est bien dans le banal et le ressassé. Rien d’original. Rappelez-moi depuis quand ça dure ? Je vous mets mon billet que le sujet reviendra encore sur les tables dans un demi-siècle (s’il reste des artistes pour passionner les débats), au détour d’une programmation, une fois épuisée la ritournelle du trop petit carnet d’adresses des organisateurs.
C’est bien pour cela qu’il est bon d’en débattre à l’occasion. Même si les livres s’en sont chargés (mais les relirons-nous?), même si tout a déjà été dit. Juste pour que le ridicule de ces polémiques ne devienne, lui, pas trop vite banal, pour qu’il nous interpelle encore une fois.
Alors jazz ou Jazz, art ou Art, musique ou pas (si si, j’en connais qui osent)?
Mais quelle importance ? De toute façon, la conclusion viendra quand nous ne pourrons plus l’entendre : il n’y a que l’histoire qui tranche, et en général au tempo des ballades.
Et si nous parlions plutôt d’Emotion ? Au prix d’un peu d’honnêteté, juste ce qu’il en faut pour laisser à l’ouvreuse concepts tout-prêts et préjugés tenaces, l’émotion ne demande qu’à se moquer des modes, des styles, des époques, et par dessus tout des petites boites bien identifiées.
Alors, parmi tant d’autres, Bix ou Miles ? Alphonse Picou ou Art Pepper ? Lester ou Francesco Bearzatti ?
En ce qui me concerne, le débat est clos. Tous, chacun à leur tour, m’ont procuré la même émotion, la même jubilation, la même renaissance. Je vous souhaite le même bonheur.
Mais il est vrai que je n’ai jamais vraiment su si “flambée montalbanaise” faisait référence aux braises infernales ou à une soirée au coin du feu… Par contre, je la vois bien brûler les étiquettes.
La voilà la Flambée Montalbanaise.
Et elle bouscule les étiquettes à défaut de les brûler.
Je connais l’interview de Charlie Parker……Et pourtant, selon moi, comme Monsieur Joursdain, il faisait bien du jazz, sans peut-être le savoir . En 2010 en l’écoutant, ça me paraît évident…avec tout ce qu’il y a eu après!…… Mais, je partage ta conclusion…Il faut le jouer ce jazz…Il nous nourrit toujours…de bonheur!
Bulletin du Hot Club de France, N° 592 (juillet-août 2010), suite et fin dans le prochain, à paraître bientôt (N° 593)
Merci Laurent de ton intervention. C’est vrai que je fixe des limites au progrès, ou du moins à l’évolution de la musique de jazz. Je situe une réelle rupture aux années 60, durant lesquelles, comme je l’ai écrit, certains ont VOLONTAIREMENT fait autre chose sous l’appelation jazz ou free jazz!…Sur ce point, on a le droit, comme pour aller ou pas au concert, de penser qu’il a eu rupture….Il est certain et non contradictoire que par bonheur, on voit, surtout en Europe, beaucoup de jeunes musiciens revenir à ce qu’on a pu appeller le vrai jazz!….Mais je pensais que tu étais plutôt de mon avis sur ce point….
Pour Jipi, Fred Gerard est un ancien trompettiste de chez Bolling, je crois. Moi aussi j’aimerais bien avoir trace de ses écrits.
Question rupture, l’écrit à découvrir est de Charlie Parker lui-même. Je regrette d’avoir été le seul en un demi-siècle à avoir publié une traduction en français de ce texte fondateur (une des annexes de mon livre) mais qui a beaucoup déplu… la culture est aussi un marché.
Bon, de toute façon, ils sont tous morts, maintenant, et la seule chose qui nous reste à faire pour le jazz-jazz est de le jouer jusqu’à notre dernier souffle… droit devant et que ça swingue !
Très banal, tout ça ! Discours mille fois entendu et finalement on ne peut plus conventionnel. A confronter avec les récents articles de Fred Gérard sur la question. Quant au “progrès en art”, ça reste peut-être un sujet pour l’épreuve philo du bac, mais c’est une notion aussi sécurisante que vide de sens. Relis-toi : un paragraphe plus loin, tu fixe des limites… mais le progrès n’a pas de limite, camarade ! Après quoi, tu parles de “canons solides” et d’un retour heureux aux susdits canons. Je m’y perds, pépère… enfin… il reste que ta conclusion est au demeurant plutôt sympathique, elle me rassure, je vais pouvoir continuer à aller où je veux sans être flashé par la pensée unique, laquelle ne dort jamais, comme chacun sait, mais tue beaucoup.
Bonjour.
Ou peut-on lire les “récents articles Fred Gérard sur la question”. Cela m’intéresse. Merci.
C’est superbe…Rien à redire…Une perle ce Pierre, une Pierre précieuse dans notre jardin….
Ouf… Ça fait du bien !
S’il y a eu polémique, elle m’a totalement échappé. D’autre part, comme tu le dis Pierre, certains débats semblent voués à l’éternité. Et certaines périodes bien propices à les ranimer.
Mais je m’interroge : sans classicisme, sans avant-garde, sans canons, sans doctrine, sans rébellion, sans courants, sans révolutions, sans tendances, et surtout peut-etre sans provocation, serait-il pertinent de parler d’Art ?
Personnellement, je n’imagine pas me priver du plaisir d’embrasser (au sens premier) anciens et modernes dans une même soirée.
Pas de réactions!….Pourtant, il me semble avoir lançé le bouchon et jeté quelques appâts à la mer…..D’un autre côté, tant mieux, cela veut dire que ces querelles n’existent plus ou quelles se sont bien apaisées…..