Art Pepper
La récente lecture de sa vie écrite par lui même et sa dernière femme Laurie (“straight life “. 1982. Editions ” Parenthèses“) m’a donné envie de vous parler de ce musicien qui m’est cher. Art Pepper!
Né à Ga rdena (Californie) en 1925, Art nous a quittés en 1982 à l’âge de 57 ans. Quand on connaît sa vie, on se demande même comment il a pu vivre jusqu’à cet âge avec tout ce qu’il s’est envoyé dans les veines!…Sa vie de toxicomane, et même de délinquant (!) aurait pu faire oublier sa musique. Or, Art nous demeure intact de ce point de vue, grâce sa riche et immense discographie, toutes les plages enregistrées étant de grande qualité… Certes, il se “fixait” souvent avant de jouer, mais en fait, contrairement aux pratiques connues ça et là, Art Pepper, se shootait quand… tout allait bien…. C’était inexorable…. Sa vie est parsemée de rechutes dans les moments où il était le plus aidé, où tout lui réussissait… Il aura passé plus de dix ans de sa vie derrière les barreaux, pour avoir été pris avec des produits, mais aussi à la suite de cambriolages!!!. Lui, le doux, le sensible, n’a jamais eu d’armes entre les mains, mis à part les seringues… Il suivait les plus gros, pour avoir vite de l’argent, mais aussi comme pour se persuader qu’il était “quelqu’un” dans la délinquance… Alors qu’il avait tout… Un talent fou, une réussite musicale accomplie, des femmes qui se sont sacrifiées pour lui, le beau gosse gâté comme ce n’est pas possible par la nature… C’est tout cela, Art Pepper!….
Sa vie à présent. A neuf ans, il était déjà excellent clarinettiste. A 13 ans, c’est le saxophone alto qu’il travaille comme un forcené, mais aussi avec une grande facilité. Une de ses premiers employeurs sera le grand Benny Carter (on sent dans le jeu d’Art, cette première influence …évidente….). Il occupera ensuite pendant une année (1943) le pupitre de saxes de Stan Kenton, avant d’effectuer son service militaire, ce qui le conduira en Angleterre et en France en 1945 à la fin de la guerre. Dès 1952, après une fructueuse reprise sur la west coast, c’est déjà, à 27 ans, la plongée dans le monde de la drogue. Un premier séjour sous les barreaux à Fort Worth… Il ressort au bout de deux ans…. Le producteur Lee Koenig, sera à plusieurs reprises son bienfaiteur. Il acceptera de le refaire jouer et ce sera de belles réussites. Des magnifiques disques sont enregistrés sous la marque Contemporary. La rencontre de Art avec le sax tenor Warne Marsh, mais surtout les splendides plages avec la fameuse “rhythm session” en janvier 1957 (Red Garland (piano), Paul Chambers (basse) et Philly Joe Jones (batterie) . Cette session mérite le détour. La musique est formidable et pourtant, Art n’avait pas joué de sax depuis six mois!. Dans son bouquin, il explique: ” je sortis mon saxophone, le posai sur le lit et le regardai. Il m’était devenu étranger. Un objet venant d’un autre monde. Je le sortis de son étui. Quand on démonte un saxophone, il y a d’une part, le corps de l’instrument, et d’autre part, le bocal et le bec. Ces trois éléments sont censés être essuyés et emballés séparément lorsqu’on les range. Evidemment, la denière fois que j’en avais joué, j’étais complétement défoncé et j’avais laissé le bec sur le bocal. Il me fallait nettoyer le saxophone. Il était tout sale. Il me fallait l’huiler, vérifier qu’il fonctionnait bien. A l’extrémité du bocal est montée une partie en liège sur laqelle vient se fixer le bec. Il fallait y mettre une huile spéciale. Je tirai sur le bec. Il résista dans un premier temps, puis céda. Il était resté si longtemps sur le bocal que le liège y avait adhéré. Du côté du bocal, il n’y avait que du métal. Il faut quatre à cinq heures de travail à un ouvrier expérimenté pour remonter cette partie. Je n’avais pas le temps de faire tout ça… je remis le bec avec le liège en place. Je fixai le tout avec du ruban adhésif. J’ôtais l’anche: elle était collée au bec, toute moisie, verte… J’en pris une nouvelle, à mon goût…… Au studio, Red Garland me jeta un regard. J’avais la tête vide… Impossible de trouver quelque chose à jouer. Red me dit: “je connais un joli thème, tu connais ça ?”. Il se mit à jouer quelque chose que j’avais déjà entendu. “Comment ça ‘appelle ? -“you’d be so nice to come home to”. Quelle tonalité ? – Ré mineur….Ça sortit magnifiquement.….
En écoutant cette séance, j’oublie le sax qui n’avait pas joué depuis longtemps, le bec rafistolé, les trous de mémoire de l’altiste… C’est magnifique, d’une grande fraicheur!… Le miracle de la musique jouée par les grands!….
Les enregistrements se sont enchainés par la suite, entrecoupés de nouveaux séjours en hôpital psychiatrique ou en prison…. J’aime beaucoup le “modern art” (Alladin 1957), mais aussi le “Art Pepper + eleven” (mai 1959) avec de superbes arrangements de Marty Paich… Les séances avec Chet Baker (ils étaient assez semblables ces deux là!) sont superbes. En écrivant, je réécoute les albums de Art et je complète grâce à Deezer. C’est toujours de grande qualité… même au tenor où Art s’est laissé impressionner de son propre aveu par John Coltrane. Beaucoup de ses amis musiciens ont estimé que ça ne lui réussissait pas beaucoup. Voici ce que pense Shelly Manne, un excellent batteur qui a souvent joué à ses côtés: “Quand j’ai réentendu Art (au tenor.PF) à sa sortie de prison, je n’ai pas aimé. Non pas qu’il jouait mal. Simplement parce que je n’avais l’impression que c’était l’expression honnête de celui que j’écoutais, après l’avoir entendu pendant des années. Il est normal qu’il fasse des emprunts à quelqu’un comme John Coltrane, mais Art y perdait une grande partie de cette qualité émotionnelle que j’aime chez lui… “. Je partage l’avis de Shelly, sur le peu que j’ai entendu, même si j’estime qu’un musicien doit pouvoir emprunter toutes les directions qu’il recherche, sans nécessairement recueillir l’assentiment des autres…
Dans la session “Art Pepper + eleven” de 1959, Art joue du tenor, comme il joue de l’alto (aérien) avec un très beau phrasé (“four brothers”). Sur “walkin”, en tentant de jouer “dur”, il n’emporte pas, selon moi l’adhésion. Par bonheur, par la suite, et jusqu’à la fin, Art est chaque fois revenu à l’alto ou à la clarinette, ses véritables instruments!…. Pour le style, quelques mots: Alors que la plupart des altos de l’époque des années 50 avaient subi l’énorme influence de Charlie Parker, Art Pepper semble, de l’avis de beaucoup, resté assez peu bopper malgré son incroyable virtuosité. L’influence viendrait plutôt de Lester Young, mais aussi de son grand copain Zoot Sims, un swingueur de première!…. Art Pepper possède un phrasé finalement assez simple, un sens naturel de l’improvisation, sans limites. J’adopterais volontiers le commentaire de Jean Paul Ricard dans le “dictionnaire du jazz” de chez Laffont: “Capable d’aborder les tempos les plus vifs et les ballades avec la même aisance, il déploie dans les deux cas, un sens étonnant du lyrisme affûté aux feux d’une sensibilité d’écorché vif…”.
Pourtant, lorsque j’écoute Art, je perçois une immense douceur, un cœur tendre… avec tout ce qu’il a enduré… tout que qu’il s’est imposé aussi… au cours d’une vie tragique…. mais intense au plan musical.
Je viens de retrouver dans “Jazzman’ de juin 2008, un article sur un bouquin écrit par Pierre Briancon intitulé “Saint Quentin jazz band”. Est évoquée cette célèbre prison de Saint Quentin dans laquelle ont séjourné Frank Morgan, Dupree Bolton, Earl Anderza et bien sûr Art Pepper, tous des altos semble t-il. Selon l’auteur, ces msuciens, en sortant de cet enfer, n’auraient rien perdu de leur créativité musicale. On pourrait plutôt dire que leur sortie a ranimé en eux toute leur invention libertaire….