Intécrales 2: De la standing ovation
De la standing ovation
“Ce qui m’a le plus enthousiasmé durant toutes ces années,ce n’est pas tel ou tel chorus extraordinaire,telle ou telle composition émouvante,tel ou tel arrangement brillant mais plutôt les formidables standing ovations de ce splendide public.”
Merci pour les programmateurs qui se sont échinés pour monter des concerts originaux (une constante de Coutances), merci pour les musiciens qui y ont créé de splendides moments musicaux et surtout bravo à ce public générateur de splendides standing ovations qui, seules, témoignent de l’excellence d’un festival !! Au delà de l’imbécillité démagogique de ce propos, il a réveillé mon allergie chronique pour la standing ovation.
Ce phénomène, relativement récent dans les concerts de jazz, est sans doute venu des messes médiatiques américaines dans les mondes du spectacle (sportif, culturel : les Oscars, les Golden globes, les remises de médailles ou de coupes sportives), de la politique (congrès de partis..) ou des affaires (assemblées d’actionnaire, réunions de cadres..). Il témoigne, une fois de plus, de ce désir d’affirmer lourdement des préférences, des choix, des sentiments, d’établir des palmarès pour tout, d’exagérer des inégalités (tous les prix pour la même œuvre), de susciter des enthousiasmes unanimes. On crée des dieux, des objets sacrés (stars, idoles, livres ou disques ou films cultes : c’est mieux pour le commerce..). Il y a une débauche de cérémonies protocolaires, toutes plus prétentieuses les unes que les autres, et la célébration devient plus importante que l’évènement célébré (c’est ce que dit clairement notre ami coutançais). Peut on y voir un lien avec l’importance du religieux et de ses rites et l’adoration de la réussite à tout prix ? (étrangement, ces phénomènes progressent simultanément aux US).
Il est amusant de constater que le mot “ovation” vient du latin “ovis” cad “brebis” en latin. Des moutons debout ce serait plutôt rassurant par les temps qui courent. Malheureusement ce mot désigne plutôt un sacrifice de moutons, ce qui semble plus réaliste. Pour en finir avec le vocabulaire, on peut remarquer que le mot anglais et donc américain pour “rappel”, cette forme archaïque d’enthousiasme collectif, est “encore”, donc un mot d’origine française. Un signe des temps ? Quoiqu’il en soit le rite de la standing ovation est maintenant pratiqué partout dans le monde et, bien sur, en France (après Cannes et les Césars à la traîne d’Hollywood) et même au Québec (Céline need it), ce temple de la francitude (as said by Segolène).
Bien sur, les rappels ne suffisent plus pour une hiérarchisation sérieuse des prestations artistiques. On les a quelquefois comptés, comme les étoiles pour les critiques de disques ou de films, mais le premier rappel est devenu pratiquement automatique et la comptabilité épuise parfois les plus dévoués compteurs (plus de 10 rappels, quelquefois, en classique mais ils rejouent peu ou pas du tout). Certains artistes faussent le décompte : un rappel de 1mn30s, montre en main (celle de Paul Motian qu’il a souvent regardée pendant le concert) laisse forcément les spectateurs frustrés et provoque d’autres rappels (de plus en plus courts) alors qu’un rappel d’une demi-heure de Pat Metheny ou Sonny Rollins laisse les spectateurs épuisés et ravis. De plus, certains artistes ont l’outrecuidance de penser que la prestation qu’ils avaient peaufinée et où ils se sont donnés pleinement ne nécessite aucun rajout et ils ne se prêtent pas au rite.
Quel avenir pour toute cette mise en scène ? J’ai lu, quelque part sur internet, que l’importance d’une standing ovation peut être mesurée par le pourcentage de participants (difficile à évaluer et aussi peu fiable qu’un vote à mains levées) ou le nombre de répétitions. On croit rêver ! La foule se lèverait et s’assiérait plusieurs fois ? Mais alors la salle de concert ressemblerait plus à une église, une salle de gym ou un stade (la ola ) Et puis le langage des foules, comme le langage classique des mots, souffre de la banalisation des superlatifs par répétition. Voyez tous ces mots, trop fréquemment (et mal) utilisés, qui ont perdu leur force : extra (ordinaire), super(be?), génial, géant, nul, tout à fait… Comme pour les drogues il y a addiction et accoutumance, nécessitant des doses plus fortes ou un autre produit. Donc, après le nième rappel, la nième standing ovation, il faudra sans doute un autre étage à la pyramide.
Mais, pour conclure, je voudrais raconter une petite anecdote qui remet bien les choses en place. Il y a quelques années j’ai assisté, dans une salle de l’ayuntamento de Saint Sébastien à un concert d’Abbey Lincoln, immense chanteuse. Débarrassée de ses oripeaux de star, splendidement accompagnée par un trio très attentif, elle livra un concert si émouvant (un de mes préférés parmi des centaines) qu’elle obtint une qualité d’écoute stupéfiante de la part d’un public, certes enthousiaste, mais souvent si bruyant. A la fin du concert un grand silence puis une acclamation vibrante (les spectateurs étaient déjà debout, les sièges étant rares dans cette salle). Deux ans plus tard elle revenait, en vedette, à la place de la trinité, avec le trio de Randy Weston. Après un concert plutôt moyen où elle fit son numéro de diva capricieuse (expliquant à R.Weston comment il devait jouer son propre thème “hi fly”), elle fut récompensée par ce que je crois être une de mes premières standing ovations.
ps: Mon discours a sans doute été exagéré par ma standing obsession et il aura peut être agacé certains des lecteurs de cet article, même si j’ai essayé de le tempérer par quelques traits d’humour plus ou mois réussis. J’autorise donc ceux qui sont dans ce cas et sont arrivés jusqu’ici à se lever pour me gratifier d’une standing désapprobation.
Incroyable!
Mon cher Crale,tu es contre les standing ovations!…Je n’en reviens pas….
Mon dieu, combien de fois me suis-je écrasé les mains en applaudissant en restant debout pour saluer de magnifiques artistes…Et ils sont revenus, ces artistes, sur scène tous heureux de cet hommage, qui montre que le public peut lui aussi participer et s’enthousiasmer. la standing, c’est le top pour un artiste. Quand c’est mauvais, il n’y a pas de standing ovation, et même pas de rappels. Quand on se lève, ce n’est pas que pour Danette, c’est parce que….. c’est vrai, on a un peu les fesses machées par les horribles chaises en plastoc prêtées par les mairies, mais surtout parce qu’on est heureux d’avoir assisté à un spectacle sublime et qu’on veut que l’artiste le sache….Et puis si ça nous a ennuyé, on est pas obligés de se lever avec les autres…
Alors certes, ovation vient de brebis, je veux bien…mais le fromage vient aussi souvent des brebis et on l’aime, sans pour autant faire de standing fromagion!…
Où es-tu allé chercher ton ressenti, cher chroniqueur?….. Par les temps qui courent,où souvent tout est fade ou alors stupide, soyons heureux de ces manifestations de joie!….. Les ordres pour applaudir dans les émissions de télé, ça oui, je trouve très con….Mais laissons vivre nos standing vibrations!…Si on ne peut plus s’enthousaismer,même dans l’exagération, où allons nous?.
Alors, tu n’aimes pas ça. Donc, je ne t’offre pas une standing ovation. Seul à me lever…. je serai bête (comme l’ovin!)..Pas même une hola (ça aussi c’est formidable dans le stades plutôt que s’envoyer des chaises!)…..
Allez, cette réaction d’humeur, c’est aussi pour moi un moyen de faire passer un message dans le jipiblog…J’existe toujours, mais je suis fort occupé jusqu’au début du mois de juillet.
Sans rancune, cher Crale.