les photos oubliées
Une bien belle histoire…. qui nous est racontée dans un superbe livre par le producteur HankO’Neal(“Charlie Parker” par Hank O’Neal. Editions Filipacchi 1995).Tout a commencé au cours du mois de juillet1952. Norman Granz, le célèbre imprésario, animateur infatigable des séances “jazz at the philarmonic” avait , comme à son habitude, réuni dans un studio de Los Angeles la crème des musiciens de jazz en activité à New York pour l’enregistrement d’une séance, qui connaîtra un beau succès (“Charlie Parker “jam session”. Verve.833 564-2).
Ce jour là (personne n’a pu donner la date précise), Granz a eu envie de faire jouer ensemble les grandes vedettes du saxophone alto… Tâche difficile, Tous travaillaient régulièrement et sillonnaient les routes du monde entier. Mais, par chance, trois d’entre eux étaient libres à cette époque à Los Angeles… et pas des moindres… Johnny Hodges, Benny Carter et Charlie Parker. Déjà, réunir ces trois étoiles au style et au parcours bien différent, c’était assez génial. Mais Granz, bienfaiteur des jazzmen, voulait mieux faire…. La séance fut grandiose!…Deux saxophonistes tenor illustrissimes, furent rajoutés…Ben Webster et Flip Philips, ce dernier moins connu aujourd’hui, mais très apprécié dans les concerts du JATP pour sa fougue…. Et la rythmique… de rêve… Au piano Oscar Peterson, à la guitare Barney Kessel, à la basse Ray Brown, et à la batterie JC Heard!….Cerise sur le gâteau, la présence truculente de Charlie Shavers, un des plus talentueux trompettistes alors en activité. N’en jetez plus… Norman, tu nous a gâtés. Restait à choisir les thèmes, à organiser l’ordre des choruses, (Benny Carter semble avoir été le directeur musical) et ce fut parti pour une séance historique…
Mais Norman Granz n’avait pas conservé de souvenirs photographiques de ce moment qui a pourtant compté… Du moins le pensait-il à l’époque. Pourtant, un cliché de cette séance figurait sur les anciennes pochettes Clef et Verve. Plus de quarante ans plus tard, en 1993, Granz a reçu une lettre de Hank O’Neal , lequel l’informait qu’en fait, il y avait eu une photographe pour cette séance!…..
Il s’agissait de Esther Bubley qui avait été contactée, sans que Granz l’ait su, par le directeur artistique David Stone Martin. Ce dernier avait réalisé les illustrations sur les catalogues Sotheby et avait besoin de photos pour ses dessins, Neal retrouva, sur le catalogue le nom de la photographe Esther Bubley, laquelle avait tiré un nombre important de photos (en fait 317!) en se faisant toute petite au cours de la fameuse séance, ce qui peut expliquer l'”oubli” de Granz ….. La jeune femme, qui au départ devait faire deux ou trois clichés pour les illustrations de O’Neal, avait remis l’ensemble des négatifs à la maison d’édition qui les avait plus ou moins égarés. Kank O’Neal les a retrouvés en partie , les a restaurés et pieusement rassemblés C’est donc dans le livre que je cite en début de billet que l’on trouve les cinquante plus beaux clichés réalisés au cours de l’enregistrement…
Esther Bubley se souvient que Granz l’avait ce jour là, entre aperçue, et l’avait autorisée à effectuer le reportage à condition de ne pas gêner les musiciens. La jeune femme, pas spécialement amatrice de jazz, mais photographe réputée, avait capté l’image de tous ces grands, en train de jouer bien sûr, mais aussi, écoutant les épreuves, ou encore profitant de moments de détente. Et ces instants valaient de l’or!…
Aujourd’hui , le reportage s’avère encore plus passionnant avec une très belle qualité artistique. Pas de flash, des images pures, nettes, captivantes…..Pour les spécialistes (coucou Pierre Vignacq et Jacky Berecochea!) , Esther Bubley a utilisé deux Nikon avec un format de pellicule de 24 X36. Les négatifs originaux étaient en 35mm et les copies de négatifs en 10X12,5.
Touche amusante pour ce livre. L’auteur Hank O’Neal a eu la riche idée de soumettre ces clichés aux musiciens, lesquels ont rédigé les légendes avec beaucoup d’humour, et ce en regardant les photos plusieurs années après. A titre d’exemple, Oscar Peterson, illustrant la photo du groupe, a écrit: “le gang avant le massacre de la Saint Valentin”!
La musique, elle même, est fort belle. Deux blues (“jam blues ” et “Funky blues“) , un superbe standard ( “what it this thing called love”) et un medley qui permet à chacun des musiciens de s’exprimer largement. Un vrai régal!…. Il est étonnant, mais fort intéressant d’écouter Charlie Parker, figure du bop, en compagnie d’artistes adeptes d’un jazz plutôt classique et dans un style mainstream. Encore une idée de génie de Norman Granz . Bird , comme les autres d’ailleurs, joue en toute décontraction…C’est vraiment superbe… Les photographies sur lesquelles on voit Parker deviennent dès lors des documents totalement inédits.
Je regrette de ne pas pouvoir ici placer davantage de photos. Je vous invite à vous procurer le livre.
J’ai voulu vous faire partager ce merveilleux moment musical et joliment photographié…Il trouve une place naturelle et bien méritée dans mon billet…soixante ans plus tard…Et la magie demeure…..
Ecoutez l’album Jam Session sur Spotify