TAO LONGE DO BRASIL MAS TAO PERTO DE SUAS MUSICAS (Si loin du Brésil mais si près de ses musiques) N°1

Décembre 2011. Un bœuf jazzo-gastronomique local. Un groupe achève (Ne dis rien Gérald!) “chega de saudade”.  A ma table quelqu’un dit :
“La musique brésilienne c’est la bossa nova et la bossa nova c’est Jobim. Le monde entier le sait!”
Encore la pensée unique?! Ce n’est pourtant pas de la politique… Comme j’ai bu un coup de trop (plusieurs ?) et que mon sang fait plusieurs tours (il ne connait pas l’expression) je n’ai pas le temps de répondre avant que le bœuf reprenne sa marche swingante. C’est pourquoi je vais essayer de le faire ici.

La musique brésilienne c’est la bossa nova ? Imaginez, quelqu’un dit : “le jazz, c’est le bebop!”.. Déjà que certains ont eu du mal à admettre que le bebop est du jazz…
Laissons de côté Villa Lobos et consorts (il va pourtant compter dans tout ça, composer quelques choros et figurer dans des jurys “écoles de sambas”). Mais le choro, les sambas cançao, de roda, de coco, funk, rock, rap, les partido alto,
                                        
sambalenco, pagode, frevo, modinha, marcha rancho, maracatu, forro (baïao, xote, coco, lambada) afoxé, batucada, rasta pé, toada, mangue beat, l’électro-brasil….. ça compte pour du beurre ??!! Certains de ces styles sont parfois regroupés (idée d’un commercial paresseux) sous le sigle MPB (musica popular brasileira comme la SALSA pour les musiques latines new-yorkaises, cubaines, porto ricaines..)

Je ne vais pas prétendre que je connais toutes ces variantes et que je les apprécie de la même façon ni même, pour certaines, que je suis capable de les distinguer mais je sais que ce peuple musico-dépendant adore ce foisonnement de musiques issues de toutes les cultures du grand Brésil. Du nordeste au sud carioca et sao pauliste, de la forêt amazonienne aux rivages de salvador de bahia, elles se côtoient, se chevauchent, se télescopent, mêlant l’Afrique et les cultures européennes aux racines indiennes comme se mêlent les rites religieux classiques et les délires sorciers africains ou indiens (vaudou, candomble)

La majorité brésilienne préfère des musiques exubérantes,euphorisantes,dansantes. Ils aiment bouger sur elles, les reprendre en chœur, accompagner les rythmes et ils savent le faire! Bien sur, le carnaval et ses sambas restent encore dans toutes les mémoires mais leur polyrythmie est souvent supplantée par des rythmes binaires plus basiques (rock, funk, rap, “soupe” cèline dionnesque amenés par l’invasion médiatique nord américaine) qui gardent tout de même un petit côté chaloupé à cause de la langue.

La bossa nova n’a jamais été appréciée que par une faible minorité au brésil : plutôt issue des classes aisées, blanches (lire le témoignage passionné et PASSIONNANT de Carlos Afonso). Certains ont même nié son lien avec le samba, son essence brésilienne. Comme le disait Tom Jobim : “c’est une musique de chambre populaire”. La musique de chambre ça n’attire pas les foules. C’est regrettable mais c’est comme ça. Ceci dit 0,5% de 200 millions ça fait tout de même 1 million; une minorité ça ne veut pas dire personne.

Sur le plan strictement musical, il faut signaler que le choro, musique instrumentale née au 19e siècle, avec un équilibre beaucoup plus européen (utilisation importante du contrepoint, instrumentation moins percussive) est très respecté encore par les musiciens de tous les styles actuels qu’il a largement influencés. Des musiciens  composent encore des choros (H.pascoal, E.Gismonti..)et des jazzmen ont donné des versions plus ou moins fidèles de classiques ou des adaptations modernes du genre (“tico tico” par Charlie Parker ou le splendide “choro dançado”par Maria Schneider…)

Et dans le monde ? Dès la fin de leur interdiction au carnaval (1930)  les sambas ont commencé à se faire connaitre dans le monde par les ondes, les disques et surtout les films brésiliens ou américains.  “Bahia” (“No baixo do sapateiro”) 1938 et “Brazil” (“Aquarela do Brasil”)1939 de Ary Barroso ont été ainsi des succés mondiaux.Le second apparait à la fois dans le film

los tres caballeros:le brésilien est au centre

“familial” “los très caballeros” 1944 de Walt Disney et (avec un zeste d’ironie) dans le film trés politique “Brazil” de Terry Gilliam 1985. Un autre succés mondial important est le choro “Tico tico (no fuba)”  composé en 1917 par Zequinha de Abreu (exercice de virtuosité vocale avec Carmen Miranda ou Aloyso de oliveira ou instrumentale avec Ethel Smith à l’orgue ou l’orchestre “typique” de Xavier Cugat) et  propulsé vers le succès mondial par pas moins de 4  films : “Saludos amigos” de Walt Disney 1942, “Tico tico no fuba” de Adolfo Celi 1952, “Bathing beauty” (“Le bal des sirènes”)  1947 avec la sculpturale Esther Williams et “Copacabana” de Alfred Green 1947. Dans les années 50 un autre genre brésilien va se révéler au monde avec le film “O cangaceiro” de Lima Barreto 1953 et la chanson “Mulher rendeira”(O.garcia-F.Corona) curieusement chantée en français par Jean Sablon,chantée aussi par Joan Baez. C’est le Baîao, musique (entre autres) des cangaceiros,bandits sanguinaires du sertao, respectés mais craints par le petit peuple qu’ils défendaient contre les grands propriétaires terriens

une des affiches du film

Dans les années 60 il est certain que les films de Marcel Camus (“Orfeu negro,”Os bandeirantes”) relayés par le matraquage publicitaire des télévisions et des majors américaines (Capitol, Verve, Warner A et M) qui ont ” signé” rapidement Tom Jobim, Joao Gilberto, Sergio Mendès, vont propulser au premier plan la bossa nova mais en donnant déjà une image déformée (F.Sinatra et la bossa nova..), plus jazz que nature,aussi nord-américaine que brésilienne et en insistant sur certains musiciens au détriment de certains autres.

Mais le samba (ses mélodies entêtantes, ses percussions jouissives et les belles fesses brésiliennes) reste le plus fort symbole du Brésil pour la majorité. (Regardez les programmes des “revues brésiliennes” dans les restaurants ou salles de spectacles de grandes villes du monde). Il est quelquefois relayé par un autre rythme de danse spectaculaire (la lambada en 1989 )

Une formulation plus prudente de l’affirmation énoncée au début de cet article aurait pu être:”…… les amateurs de jazz que je connais le pensent…. ” Dans le monde, la bossa nova est appréciée, à l’extérieur des ascenseurs, par des brésiliens exilés (souvent intellectuels ou artistes), certains musiciens ou(et) amateurs de jazz ou de classique, quelques amoureux de douceur, de subtilité harmonique et… moi, mais on en reparlera, peut être, si ça vous intéresse, dans le n°2.

Mon idée était de vous faire accompagner, en plusieurs volets,une exploration (partielle..partiale?) de la musique brésilienne par un hurluberlu qui n’a jamais posé les pieds au brésil et qui ne connait pas 3 mots de portugais. 50 ans de découvertes à travers des disques, des livres, des partitions, des films, des dvds (il y aura des références, ça plaira à jipi), des concerts, des rencontres et maintenant internet (youtube, daily motion, les sites de fondus…)
A bientôt, si vous le voulez bien.

Commentaires
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6 Commentaires

  1. Merci pour cet article bien vu et juste!
    Trio carimbo

  2. Dans le genre antidote à “l’arbre qui cache la forêt”, cet article défriche comme il faut ce qui cachait la vue d’ensemble!
    Les échantillons sont vraiment bien choisis – une super mise en bouche qui ouvre salement l’appétit pour les développements et approfondissements futurs… Un nouveau rendez-vous de choix avec la musique brésilienne, dans toute sa diversité, que j’enregistre dans mon agenda mental 🙂
    Alors OUI, “à bientôt”, je le veux bien !

  3. Quelle diversité dans la musique brésilienne. Je constate sans surprise que tu sembles connaitre ton sujet sur le bout des doigts.
    J’émettrais par contre quelques réserves quant à ton point de vue très réducteur sur la musique de Céline Dion.
    Certes elle fait de la soupe (personne ne le conteste) mais c’est comme dire que le jazz se limite au hip hop.
    Céline Dion fait aussi de la “Daube” qu’elle accompagne parfois de “Purée”. Elle est même allée jusqu’à nous servir de la “Guimauve”(Titanic).
    Je ne conteste pas la grâce des danseuses de Samba, mais ne négligeons pas la capacité de séduction du déhanché de Céline.
    (là normalement il y a une photo que l’espace “commentaires” n’accepte pas,dommage!)
    Voilà, je ne veux pas lancer une polémique, mais il me semblais utile de remettre les pendules à l’heure.
    A bon entendeur,salut!!
    Olivier

  4. Que tout cela est bien senti et bien écrit!….Que de choses à découvrir dans cette musique. Habitant aux antilles,ce que tu écris sur les influences Nord américaines, je le constate aussi ici…Le zouk est peut être un avatar de la vraie musique antillaise, inspirée de …l’Europe (polkas, mazurkas..). Reste la biguine, celle jouée et sussurée dans un coin de jardin tout doucement, avec une guitare séche…Vaste débat…Certains lecteurs du jpiblog (j’en connais au moins un!) évoqueraient les mêmes interrogations pour la musique cubaine que j’ai eu l’occasion de découvrir à la Havane…Et si la bossa (que j’aime vraiment) permettait (mais je sais que tu es d’accord avec moi) de découvrir ce qu’il y a de moins commercial et de plus authentique ?…

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