Bandonéon et accordéon dans le jazz : ovnis ou révélations ?
🎶 Le bandonéon dans le jazz : un ovni qui mérite sa place ?
Il y a des instruments qu’on n’attend pas là. Le bandonéon, par exemple. Et dans une moindre mesure l’accordéon. Ces cousins à soufflet, souvent cantonnés à d’autres sphères – le tango d’un côté, le musette ou la musique traditionnelle de l’autre – ont pourtant peu à peu infiltré l’univers du jazz. Non sans mal. Non sans génie, aussi.
Un tango pas si loin du swing
Astor Piazzolla a été le premier à faire grincer les dents des puristes : le tango nuevo, c’était déjà du jazz sans le dire. Harmonies élargies, phrasé libre, improvisation organique… Et ce son râpeux du bandonéon, qui se frottait aux contretemps comme à la mélancolie. C’était un coup de génie. Et une invitation.
Michel Portal : souffle libre et bandonéon intuitif
Impossible de parler du bandonéon dans le jazz sans évoquer Michel Portal. Clarinettiste et saxophoniste hors norme, né à Bayonne, il est l’un des premiers musiciens français à avoir exploré le bandonéon en dehors du tango, dans une esthétique résolument libre, contemporaine, voire expérimentale. On pense souvent à ceux qui sont loin – Piazzolla, Saluzzi, Nisinman – et moins à ceux qui sont proches. Et pourtant, Michel Portal est là, tout près, et il a ouvert des voies singulières. Il ne joue pas « à l’argentine », mais avec cette spontanéité propre aux improvisateurs aventureux. Son usage du bandonéon, souvent en dialogue avec des formations réduites ou en solo, s’inscrit dans une démarche de recherche sonore, entre dissonance, souffle, et expressivité brute. On peut l’entendre notamment dans des albums comme Turbulence ou dans ses collaborations avec Richard Galliano ou Mino Cinélu. Chez Portal, le bandonéon devient un souffle de travers, un cri feutré, un terrain de jeu.
Depuis, des musiciens comme Dino Saluzzi, William Sabatier ou Marcelo Nisinman ont poursuivi cette voie, celle d’un bandonéon affranchi des codes, en dialogue avec des batteurs de jazz, des contrebassistes aventureux, des pianistes en quête de textures. Leur musique n’est pas du jazz au sens strict. Mais elle en partage l’élan vital : l’improvisation, l’écoute, le risque.
Accordéon : entre tradition et swing
L’accordéon, lui, a connu une histoire plus sinueuse. Star des bals, bouc émissaire des ringardises d’antan, il a fallu tout le talent de Richard Galliano pour lui redonner ses lettres de noblesse jazzistiques. Dès les années 90, son « New Musette » réconcilie Gus Viseur et Bill Evans, avec des collaborations prestigieuses : Michel Petrucciani, Chet Baker, Ron Carter…
Aujourd’hui, on ne compte plus les accordéonistes qui osent s’aventurer dans les terres du jazz : Vincent Peirani, Daniel Mille, Lionel Suarez, ou encore Félicien Brut. Leurs discours sont variés, mais leur point commun est clair : ils improvisent, ils explorent, ils osent.
Pourquoi ça coince (encore)
Et pourtant, il reste une forme de suspicion. Dans certains cercles jazz, ces instruments sont encore vus comme des intrus. Trop chargés d’histoire populaire ? Trop expressifs ? Pas « dans le son » ? Le débat reste ouvert.
Mais est-ce bien le rôle du jazz que de refermer ses portes ? À force d’académiser l’improvisation, on finit par oublier son essence. Le bandonéon et l’accordéon, quand ils sont bien joués, apportent des couleurs uniques, des respirations autres, un lyrisme presque vocal.
Une méthode pour ouvrir la voie
C’est aussi l’idée derrière la méthode d’accordéon à basses chromatiques que nous publierons très bientôt chez 2Mc Éditions. Une méthode trilingue (français, basque, anglais), pensée dès les premières années pour permettre aux jeunes accordéonistes d’accéder à tous les langages – classique, contemporain, populaire, et bien sûr, improvisé.
Car il est temps que ces instruments, souvent appris dans des écoles, s’émancipent aussi sur scène. Pas en singeant le jazz américain, mais en apportant leur propre grain, leur propre souffle.
📀 Discographie sélective
🎵 Dino Saluzzi
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Kultrum (1983) – Album solo marquant le début de sa collaboration avec ECM Records.
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Mojotoro (1992) – Fusion de tango, jazz et musiques andines. Wikipedia
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Navidad de los Andes (2011) – Collaboration avec Anja Lechner et Felix Saluzzi. Wikipedia
🎵 William Sabatier
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Piazzolla Intime (2023) – Interprétation intime des œuvres de Piazzolla. Apple Music
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Piazzolla: Concertos (2021) – Enregistrement des concertos pour bandonéon. Qobuz
🎵 Marcelo Nisinman
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Al Principio (2020) – Duos pour bandonéon et contrebasse. Discographie officielle
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Desvios (2020) – Composition théâtrale mêlant musique et narration. Discographie officielle